EN SAVOIR PLUS
L’apartheid
Souvent réduit au seul cas sud-africain, l’apartheid (« séparation » en afrikaans ») désigne en droit international un crime contre l’humanité dont la pratique par un État est universellement interdite. Il a été défini comme tel par la Convention de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973 et repris comme tel, après la fin de l’apartheid sud-africain, dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
La définition juridique du crime d’apartheid s’applique à toute situation où trois éléments coexistent :
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Deux groupes raciaux sont distingués (la race étant entendue ici au sens sociologique et non biologique du terme)
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Des actes inhumains sont commis sur le groupe subordonné
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Ces actes sont commis systématiquement dans le cadre d’un régime institutionnalisé de domination d’un groupe sur l’autre.
L’apartheid israélien
Sur la base de cette définition du crime d’apartheid, le régime politique israélien est reconnu aujourd’hui comme un régime d’apartheid par plusieurs organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits humains, qui l’ont amplement documenté dans leurs rapports.
En effet, depuis la création de l’État d’Israël en 1948, les politiques et la législation de cet État ont été établies avec un objectif principal : maintenir une nette majorité démographique juive sur le territoire sous sa domination (depuis 1967, cela concerne toute la Palestine historique ainsi que le plateau syrien du Golan) et minimiser le nombre de Palestinien.ne.s et de Syrien·ne·s tout en restreignant leurs droits. Cette politique, basée sur la discrimination systématique des populations non juives, s’exerce de diverses manières selon les territoires où vivent ces populations, sans excepter les exilés et leurs descendants. Elle se réalise à travers une série de pratiques inégalitaires et inhumaines pouvant être qualifiées de systématiques et suffisamment enracinées dans le droit, la politique et les institutions officielles israéliennes pour être reconnues comme des pratiques institutionnalisées.
Quelques exemples de ces pratiques (liste non exhaustive)
Restrictions à la liberté de mouvement
Discriminations basée sur la nationalité
Refus systématiques de permis de bâtir
Déni du droit au retour des réfugiés
Restrictions de l’accès à l’eau et à la terre
Juridictions différenciées
Les différents statuts
Le système ségrégationniste israélien se décline différemment et avec des intensités variables selon les statuts juridiques attribués aux Palestiniens. Ces statuts dépendent à la fois de l’histoire familiale et du lieu où ils se trouvent.
Les Palestiniens d’Israël (1,7 million officiellement)
Les Palestiniens d’Israël ont été soumis à la loi martiale jusqu’en décembre 1966, ce qui signifie que c’était l’armée qui maintenait l’ordre à la place de la police. Ils ont un droit de vote et des droits civils puisqu’ils sont citoyens israéliens. Cependant, les Palestiniens d’Israël n’ont pas la nationalité juive. Leurs droits sont donc limités voire supprimés. Les principales limitations concernent les droits collectifs, la solidarité avec les autres composantes du peuple palestinien ainsi que l’accès au foncier. Les Palestiniens israéliens représentent 21% de la population et ne possèdent que 3% des terres. 93% du territoire sont considérés comme des terres d’État et sont gérés par des organismes tels que le Fonds national juif qui, sous divers prétextes (urbanistiques, environnementaux…) « développent » des projets renforçant la ségrégation. En Galilée et dans le Naqab/Négev par exemple, les populations bédouines sont expulsées de leur localité pour être cantonnées dans des « townships » sans la moindre perspective de développement. Du fait qu’il n’existe pas de nationalité israélienne, les Palestiniens d’Israël sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Seule existe une nationalité juive. Une série d’avantages accordés aux citoyens ayant fait leur service militaire n’est pas accessible aux Palestinien.ne.s d’Israël qui sont interdits de service militaire et de nombreuses localités juives restreignent leur admission comme résidents, voire l’empêchent par une série de règlements discriminatoires.
Les Palestiniens du territoire palestinien occupé
Les Palestinien.ne.s du territoire palestinien occupé vivent sous statut différent dans les trois parties du territoire occupé et contrôlé par Israël depuis 1967. Israël restreint fortement voire empêche la circulation d’une zone à l’autre (y compris pour le commerce ou le regroupement familial). C’est aussi Israël qui contrôle toute entrée ou sortie dans ces territoires (en partie avec l’Egypte pour la Bande de Gaza et la Jordanie pour la Cisjordanie).
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à Jérusalem-Est (300 000 Palestiniens environ), territoire annexé illégalement dès juin 1967, les Palestiniens ont un statut très précaire de « résidents permanents ». Cela signifie qu’ils ont juste un droit de résidence, qui peut leur être retiré à tout moment si Israël estime que Jérusalem n’est pas leur « centre de vie ». Ils y reçoivent très difficilement des permis de bâtir. La municipalité a été élargie notamment sur des terres accaparées de Cisjordanie grâce au Mur, et la colonisation juive ne cesse d’augmenter (200 000 en 2017), tandis que Jérusalem est coupée par le Mur du reste de la Cisjordanie. La planification urbaine a en effet pour but de maintenir un pourcentage de Palestiniens à ne pas dépasser. Si les Palestiniens représentent 39% de la population, ils ne disposent que de 13% du territoire (2015).
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en Cisjordanie, 2 700 000 Palestiniens vivent sous juridiction militaire. Ils sont donc confrontés à l’armée israélienne dans tous les domaines de leur vie quotidienne. Le territoire est planifié et géré par l’Etat israélien sur la base du principe de « séparation », afin que les colonies puissent s’installer sur un maximum de terres et disposer des ressources du territoire (l’eau notamment). La population juive est ainsi séparée de la population palestinienne, notamment via le réseau routier qui relie les colonies entre elles, tandis que les Palestiniens doivent circuler sur des routes à part. Le réseau routier reliant les villes et les villages palestiniens de Cisjordanie est entrecoupé d’une multitude de points de contrôle militaires israéliens (checkpoints). Alors que la vie des Palestiniens dépend de l’obtention d’une multitude de permis et d’ordres militaires israéliens, que les arrestations de Palestiniens (y compris des mineurs) sont massives et que les Palestiniens sont soumis à la juridiction militaire israélienne, les colons sont, quant à eux, soumis à une juridiction civile.
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dans la bande de Gaza, où il n’y a plus de colonies depuis 2005, 2 300 000 Palestiniens (dont une grande partie sont des réfugiés de 1948) vivent sous blocus maritime, aérien et terrestre depuis 2007. Ils sont régulièrement la cible de bombardements israéliens qui détruisent les quartiers d’habitation et les infrastructures. De plus, la zone de pêche est restreinte et l’armée israélienne empêche les agriculteurs d’accéder librement à leurs terres d’exploitation situées à proximité du Mur.
Les réfugiés palestiniens (5,2 millions)
Les réfugiés palestiniens jouent un rôle crucial dans le maintien du système d’apartheid. Leur droit au retour n’ayant jamais été respecté par Israël, l’État israélien peut s’assurer de maintenir les Palestiniens à l’état de «minorité arabe» incapable de remettre en question son système de domination par la voie électorale.
Ils sont considérés comme absents (et les déplacés restés à l’intérieur des territoires conquis entre 47 et 49 comme des absents-présents ) et dépossédés de toutes leurs propriétés par une série de lois dès les années 50. À l’inverse, la Loi du retour accorde la nationalité juive à tout Juif du monde entier pourvu qu’il fasse son alya (qu’il immigre en Israël).
Comme illustré ici de manière non exhaustive, le régime mis en place progressivement par l’Etat israélien sur l’ensemble de la Palestine correspond bien à un crime d’apartheid envers le peuple palestinien.